Épreuves du Temps, Paris (France), Institut Finlandais

2006 13 novembre - 9 décembre

Paris, Institut finlandais

Exposition personnelle.
Commissaire : Marjatta Levanto.

Institut finlandais
60 Rue des Écoles
75005 Paris, France
www.institut-finlandais.asso.fr

L’exposition est répartie en trois grands pôles qu’articulent entre eux les escaliers de l’Institut Finlandais. Ces lieux de transition introduisent des références précises à des films d’Alfred Hitchcock conformément aux images utilisées dans le projet. C’est en effet après avoir gravi l’escalier de la maison des Brenner que Melanie subit son attaque la plus mémorable à la fin de The Birds. Comme l’installation Pandore utilise les images de cette même séquence, il a été délibérément choisi de la présenter à l’étage supérieur du bâtiment. La référence que propose l’installation June à la séquence de la découverte du corps de Mrs. Bates dans Psycho induit pareillement un choix de localisation dans le sous-sol de l’institut, dans la mesure où cette dernière survient après que Lila Crane (Vera Miles) a gagné la cave de la maison des Bates. Le déplacement des visiteurs dans le bâtiment permet dès lors de renforcer des rapports d’identification avec des personnages hitchcockiens qui engagent chez eux un registre diffus de sensations et d’attentes.

L’architecture de l’Institut Finlandais met ainsi en miroir deux installations apparentées. Foncièrement interactives, elles ont en commun de se référer à des séquences jumelles extraites de deux films du cinéaste britannique. Elles constituent deux climax dans leur construction scénaristique, deux évocations d’attaques mettant en péril des personnages féminins-phares de l’œuvre, deux moments de découverte où interviennent des apparitions morbides.

Ce rapport est également suggéré par des motifs communs aux deux installations. C’est ainsi qu’on retrouve dans la boîte de Pandore des objets associés à l’univers de La Couturière de Schjerfbeck à laquelle se réfère l’installation June : une paire de ciseaux à couture, et une aiguille sur laquelle a été enfilé, en référence aux blessure de Melanie, un fil de couleur rouge.

Les images que distillent les deux œuvres une fois activées (l’une en ouvrant une boîte en bois, l’autre en manoeuvrant un fauteuil à bascule) exposent d’ailleurs, entre autres plans, des envols de mouettes et de corbeaux. Elles travaillent ainsi l’idée que les oiseaux figurant sur les téléphones portables de l’installation Irruptions présentée dans le hall de l’Institut se sont libérés pour gagner les étages inférieurs et supérieurs de l’édifice. A l’évocation d’un Temps maîtrisé que construit l’installation Le Temps suspendu, montrée sur les mêmes téléphones, vient s’opposer dans le prolongement des deux escaliers, l’évocation d’un Temps plus volatil qui échapperait à la vigilance du visiteur où se déréglerait à son contact.

A sa manière, l’installation Écheveaux propose une adaptation sonore de ce principe de libération qui, en raison de son emplacement dans l’espace de l’institut, accueille le visiteur au moment de son arrivée dans le bâtiment et le raccompagne au moment de son départ. Elle engage d’ailleurs elle aussi un autre effet d’identification puisqu’elle assimile le visiteur à Melanie quelques instant avant son ultime attaque, au moment où elle perçoit les bruits des oiseaux depuis les salon des Brenner. Un rapport implicite de continuité narrative se construit ainsi entre Écheveaux et Pandore par le mouvement de l’escalier conduisant au premier étage. A ce moment précis du film d’Alfred Hitchcock, Melanie se tient d’ailleurs assise devant le foyer d’une cheminée dont la lumière des flammes vient lui lécher le visage, dispositif qui a été répercuté à la fois à travers l’évocation de l’incendie de Happy Scream, situé dans le vestiaire de l’Institut, à proximité des haut-parleurs diffusant l’enregistrement sonore de Écheveaux, et le sujet d’un photographie de Jorman Pouranen placée dans le même espace.

Cette approche verticale et relativement symétrique de l’espace consacré à l’exposition et les effets libérateurs qu’elle permet d’articuler assimilent l’Institut finlandais à un gigantesque sablier dans lequel se serait introduit le public. Au même titre que les visiteurs, engagés continuellement à travers leurs déplacement dans le bâtiment dans des dynamiques de flux, les téléphones portables rassemblés dans la partie centrale du bâtiment en constituent autant de grains en suspension, d’où le choix d’uniformiser les dispositifs de présentation de M-Helene, Le Temps suspendu et Happy Scream et d’engager entre ces oeuvres des effets d’interpénétration (notamment en associant M-Helene et Le Temps suspendu sur les mêmes appareils).

Bien que n’imposant aucun ordre particulier dans l’exploration des différentes installations (si ce n’est la transition nécessaire par le hall et la passerelle centrale conduisant au fond du bâtiment), l’exposition induit chez le public un effet d’inversion de trajectoire qui rappelle la manipulation que suppose l’instrument de mesure ; ce renversement se répercute dans le mouvement des oiseaux à l’intérieur des cages et dans les montages figurant sur les écrans de téléphone, la manipulation du couvercle de la boîte de Pandore et le basculement de la chaise de June.

Certaines installations engagent toutefois des mouvements de torsion qui introduisent dans la conception générale de l’exposition des dérèglements comparables à ceux qui affectent l’organisation chronologique des autoportraits de Helene Schjerfbeck dans la structure de The Birds. Le glissement que le miroir du couvercle provoque sur les images projetées dans Pandore, le mouvement d’enfoncement de la chaise à bascule de June, l’écartement des téléphones portables de Scream de la passerelle du rez-de-chaussée et le déplacement des voix d’Écheveaux dans le bâtiment engagent des effets d’échappée qui ébranlent la logique du dispositif mis en place et provoque des failles dans l’appréhension du Temps. C’est comme si d’une fissure du gigantesque sablier certains grains de sable avaient fini par s’échapper.

Ces effets de torsion et de dérèglement finissent par mettre à mal le corps du visiteur en l’obligeant à tendre le cou pour regarder la projection de Pandore ou surprendre derrière lui les images de June.

La scénographie générale de l’exposition peut également rappeler l’idée d’un mécanisme d’horlogerie dont chacun des téléphones portables constituerait un rouage et que les mouvements des visiteurs dans l’espace auraient fini par forcer. Une logique rythmique gouverne en effet l’organisation des installations dans le bâtiment. Là où le mouvement vers l’étage supérieur de l’Institut provoque un effet d’accélération du film qui se vérifie dans le caractère heurté et les flux déployés dans le montage projeté par l’intermédiaire de la boîte de Pandore, celui vers le sous-sol entraîne des effets de ralentissement qui produisent des effets de torsion rythmiques et figuratifs sur le mur derrière la chaise de June. L’organisation des différentes versions de M-Helene dans les escaliers de l’Institut suit ce mouvement. De haut en bas, le rythme des extraits de films se ralentit tandis que, par effet de vase communicant, les portraits de Schjerfbeck s’animent de plus en plus violemment. Dans le flux de la descente, les œuvres de Schjerfbeck, détachés dans la version 1 de M-Helene par le montage s’incarnent par l’intermédiaire de fondus enchaînés (version 2 de M-Helene), puis vibrent par l’intermédiaire des oiseaux du Temps suspendu. Elles finissent par prendre corps et vie sur la chaise de June par l’identification du visiteur à La Couturière de Schjerfbeck.

Le visiteur n’est donc pas seulement incité ici à revivre l’expérience de Melanie, voire à faire corps avec elle en projetant son ombre à ses côtés en s’interposant devant le flux de projection de la boîte de Pandore. Il se projette également dans l’univers de Schjerfbeck en venant y incarner ses différents portraits.

Copyright © 2016 Laurent Fiévet