xy3 - Nu à la vitrine

2007


Paris, Galerie la Ferronnerie


Installation vidéo pour un vidéoprojecteur et différents récipients en verre.
1 montage vidéo de 3 mn 08.

Sur un mur blanc est projeté un montage constitué d’un extrait très court de Laura d’Otto Preminger (1944). Sur le mur a été montée une étagère en verre où ont été posées plusieurs bouteilles et carafes. L’étagère barre le tiers inférieur de la projection.

Le titre de l’œuvre, Xy³, propose une incursion dans les domaines de la physique et de la génétique. Il réduit la proposition à une application mathématique, un exercice de style, voire une formule scientifique désincarnée par opposition au sous-titre, Nu à la vitrine, qui insiste au contraire sur les données sensibles et la dimension figurative de l’installation. La mention nu, qui propose notamment une allusion au Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp (1912) – l’un des principaux référents de l’œuvre – déplace toutefois l’enjeu même de cette représentation. Comme en atteste le plan de Laura utilisé dans le montage, il ne saurait être en effet question ici de nudité du corps, la figure apparaissant à l’image étant habillée et coiffée d’un chapeau. L’installation s’attarde en effet sur un processus de dévoilement plus intime qui apparaît lié à l’identité-même du sujet. Cette réalité que la représentation dérobe constitue l’un des principaux enjeux de l’installation, érigeant l’œuvre en une énigme que le visiteur est invité à décrypter.

Le principe du déchiffrement découle d’ailleurs tout autant du caractère sibyllin que revêt le titre de l’installation que des données narratives du montage, à la structure scénaristique très affirmée. On y découvre un personnage (le Lieutenant Mark McPherson qu’interprète chez Otto Preminger l’acteur Dana Andrews) s’attardant devant un objet en cristal dont l’usage apparaît difficile à déterminer. Après l’avoir saisi dans une vitrine, il le déplace, l’examine, se perd dans sa contemplation, puis le replace à l’endroit où il était exposé. Plus que celle du personnage, on peut se demander si cette nudité que mentionne le sous-titre de l’installation ne renvoie pas directement à celle de l’objet qui l’accapare. Doit-on envisager l’objet du désir comme la représentation déplacée d’un corps dont le Lieutenant McPherson briguerait la possession, conformément au récit du film d’Otto Preminger ?

C’est précisément la nature (il serait presque tentant de dire le genre) de cet objet qui met le personnage à nu, comme chez Duchamp la mariée par ses célibataires. La diffraction du corps qu’entraîne à l’image la nature du décor dans lequel il est représenté (et que déplace au sein de l’installation l’usage en ready-made des bouteilles et des carafes disposées près de la surface de projection pour en compliquer, sous certains angles, la perception) proposent la matérialisation implicite d’un déshabillage où l’individu, conformément au traitement de Laura dans le film d’Otto Preminger, révèle peu à peu la multiplicité des points de vue dont il peut faire l’objet. Les couches imagées que déploie mais aussi que démultiplie le montage par ses effets de coupes, de reprises et de surimpressions, attestent d’une richesse de l’individu impossible à sonder. Comme pour l’objet examiné dans la vitrine, la tentative de définition du sujet est volontairement mise en échec. Seule la complexité de son approche apparaît affirmée.

Ainsi, le personnage se dérobe à la perception du visiteur au même titre que l’objet pris dans la vitrine résiste à son examen. Une mise en abyme s’opère, invitant le personnage à révéler, comme un objet de cristal finement ciselé, une multiplicité de facettes insoupçonnées. La fulgurance du désir qui semble métaphoriquement matérialisé au sein de l’évocation brise les lois de la physique, entraînant l’identité vers des réverbérations inattendues et bouleversant la perception des données de l’espace-temps. Une émotion se cristallise pour engager une transformation du réel – fatalité génétique ou précipité du hasard ?

Placé à l’intérieur de la vitrine, relégué au rang d’objet parmi les récipients en verre et en cristal, le spectateur peut observer à loisir les gestes du personnage. Son regard devient le siège même des jeux de diffractions multiples que met en place la projection.

Là où Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp entraînait la peinture vers des propositions plus photographiques et cinématographiques, Xy³ tente au contraire d’entraîner le film vers une dimension plus picturale qui inscrit l’installation dans la lignée des précédents travaux de l’artiste. Non à travers des effets de surimpressions agencés entre film et peinture, provoquant une mutation de la matière filmique (Infrastructures, Portrait à l’hélice), un travail de pigmentation progressif de l’image généré par des surgissement furtifs de la couleur au sein du cadre (Portrait au bouquet de violettes) ou la recherche d’une certaine suspension du mouvement propice à magnifier la pose (DéXconstruction, M-Helene) mais une recherche de déconstruction, de fragmentation et de diffraction qui, bien que prenant comme dans l’œuvre de Marcel Duchamp une figure pour modèle, s’inscrit dans le prolongement de la tradition du cubisme analytique. C’est précisément autour de ce mouvement esthétique que gravite l’ensemble des installations des Larmes de Lora vers laquelle Xy³ propose une transition.

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