Lovely Memories

2007


Vila do Conde, Solar Galeria de Arte cinemática



Installation vidéo interactive pour un téléviseur, un écran d’ordinateur et une webcam avec balançoire, pommes de terre et différents accessoires.
12 montages vidéo variant de 15 secondes à 31 mn 18.

Un tas volumineux de pommes de terre occupe une grande partie de la surface de la salle d’exposition. Un escarpin et un missel ont été posés sur le monticule dans lequel a été en partie enfoui un vieux téléviseur. Un montage est présenté sur l’écran où l’on peut apercevoir un extrait de Frenzy montrant le personnage de Brenda Blaney tenter de s’extraire d’un fauteuil qui l’aspire irrésistiblement.

Au plafond de la salle a été accrochée une balançoire. Elle est placée de manière à faire face au poste de télévision. Le visiteur est invité à y prendre place pour regarder l’écran ou pour se balancer au-dessus du tas de pommes de terre. Lorsque la balançoire est utilisée, l’image de Brenda disparaît momentanément du téléviseur pour laisser place à une autre série de montages où apparaissent, sous formes de flashes, différents extraits de Frenzy. Emergeant de l’appareil, une voix égraine une suite de Lovely énoncés de façon souvent agressive qui commentent, ou introduisent à leur manière, les différentes extraits présentés.

Une webcam est également cachée parmi les pommes de terre de manière à pouvoir filmer en contre-plongée les personnes qui se balancent dans sa direction. Les images captées sont relayées en direct sur un écran d’ordinateur placé dans un autre espace du lieu d’exposition.

Le principal motif de l’installation trouve un écho chez toute personne qui connaît le film d’Alfred Hitchcock. Il renvoie très lisiblement à la séquence de Frenzy où Rusk, l’étrangleur expert en maniement de la cravate, tente de récupérer dans un camion rempli de pommes de terre la broche qui pourrait permettre à la police de l’identifier en tant que criminel ; serré entre les doigts de Babs dont le cadavre a été dissimulé parmi les tubercules, l’accessoire est à l’origine d’une lutte post mortem mémorable entre l’assassin et sa victime.

L’installation se déploie également autour d’une autre référence importante. La balançoire et l’escarpin perché sur le monticule proposent une allusion à peine voilée à Les Hasards Heureux de l’escarpolette de Fragonard dont une reproduction apparaît précisément accrochée dans le film derrière le bureau où Brenda se tient assise. Le tableau apparaît d’ailleurs en amorce dans certains plans du montage sans demeurer pour autant identifiable.

En venant se percher sur la balançoire, le visiteur est engagé dans un processus d’identification. Il est à la fois assimilé à Babs en étant projeté comme elle en direction d’un tas de tubercules mais aussi à Brenda, autre victime de Rusk, elle-même apparentée dans le film à la figure féminine de Fragonard. Le montage présenté sur le téléviseur souligne d’ailleurs cette analogie. Les mouvements de Brenda déployés autour du fauteuil y sont en effet retravaillés pour rappeler ceux qu’elle ferait en prenant place sur l’escarpolette. En annonçant ou en prolongeant les balancements des visiteurs au-dessus des pommes de terre, ils ne manquent pas d’ailleurs d’engager, entre le personnage et ceux qui expérimentent le dispositif, un effet de miroir qui renforcent leur projection dans l’univers de la peinture et du film.

Si les mouvements de la balançoire peuvent rappeler ceux du rocking-chair de June de la série Épreuves du Temps qui projetaient déjà les visiteurs dans l’appréhension de leur propre mort, ils font également écho à des effets de travelling très marqués dans Frenzy comme celui qui annonce l’apparition du cadavre sur la Tamise dans le générique d’ouverture ou celui qui abandonne Babs aux griffes de son meurtrier après qu’elle a pénétré imprudemment dans son antre. A ces nombreux titres, l’objet et l’utilisation qui en est proposée au sein de l’installation se font à elles seules l’expression d’une agression, violence qui vient converser avec celle qu’introduit, dans un registre beaucoup plus explicite, les pommes de terre généreusement accumulées sur le sol.

La balançoire est d’ailleurs susceptible d’introduire d’autres réminiscences de films comme la scène d’escarpolette d’Une Partie de Campagne de Jean Renoir ou celle du Silvestre de Monteiro où le destin des jeunes filles est mis à rude épreuve. Au-delà de la transformation et de la déchéance de Cendrillon, l’escarpin peut quant à lui convoquer dans l’esprit du visiteur le souvenir d’une chaussure tombée à terre dans Marnie qui posait les prémices d’un autre viol et d’un autre effet d’immersion.

Est ainsi mis en place un péril suspendu, une menace à laquelle le visiteur peut choisir de prendre part ou non en se risquant physiquement au sein de l’installation, un vertige qui rappelle celui auquel s’abandonne tout spectateur de cinéma lorsqu’il prend place dans une salle de projection. Le mouvement d’ascension des corps que permet d’introduire la balançoire entre d’ailleurs directement en résonance avec celui des bulles dans Portrait à l’écume qui propose dans la série des Portraits olfactifs l’expression d’une autre position précaire. L’accumulation des pommes de terre sur le sol fait d’ailleurs pendant à la dispersion des bulles dans les airs au sein de l’autre installation pour mieux souligner l’analogie que les deux œuvres développent entre elles. Au regard du précédent portrait, les pommes de terre et la chaussure marquent l’incidence de la chute, la disparition inéluctable qu’elle engendre, une petite mort et un retour à la trivialité du réel qui reflètent les sentiments que sont susceptibles d’éprouver certains spectateurs une fois que la projection du film est achevée.

À l’image du cadavre de Babs dans le camion de pommes de terre, le corps du film a été au sein de l’installation en partie englouti. L’œuvre insiste ainsi sur l’existence d’une dimension dérobée au cœur du film, voire d’une tension entre le vu et le non vu qui constitue précisément l’un des ressorts du tableau de Fragonard.

Dans le dispositif scénographique, le téléviseur a pris la place du partenaire de la jeune fille représenté devant l’escarpolette. Ce rapport est accentué par la bande sonore qui propose au travers des paroles proférées, une fois la balançoire mise en mouvement, un relais à l’expression de son désir. Le téléviseur sert ainsi symboliquement de canal jusqu’à l’écran d’ordinateur qui diffuse les images captées par la caméra. Il ne manque pas non plus d’identifier celui qui les regarde à l’agresseur, dénonçant le rapport voyeuriste qu’il entretient avec les autres visiteurs. C’est toute l’ambiguïté du positionnement du spectateur qui apparaît ainsi dénoncée, rendu tantôt victime, tantôt complice de violence.

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