Lucy's Dream

2009


Marseille, Où - Lieu d’exposition pour l’art actuel



Montage vidéo de 6 mn 42.

Lucy’s dream combine et met en évidence les similarités que développent entre elles deux séquences apparentées de The Ghost and Mrs Muir (L’Aventure de Mme Muir) de Joseph L. Mankiewicz. Déployant des situations et des motifs communs, elles ont la particularité de se faire écho dans la structure du film pour marquer une rupture significative dans la progression du récit.

Les jeux de surimpression qui superposent les séquences l’une à l’autre dans l’œuvre vidéo mettent clairement en échec le dispositif narratif imaginé par le réalisateur américain et son scénariste. Alors que l’effet de répétition permet de signifier dans le récit la disparition du Fantôme du Capitaine interprété par Rex Harrison ou, plus exactement, son retrait de l’existence de Lucy Muir (qu’incarne dans le film Gene Tierney), ceux-ci contribuent au contraire à pointer dans le montage la permanence de ses interventions et leur propension à investir et redéfinir la substance du récit.

La superposition des séquences, que le montage fait succéder, comme sa résultante, à un jeu d’alternance quasi-stroboscopique, travaille d’ailleurs à l’émergence de nombreuses apparitions fantomatiques. Après les avoir invité à se réponde, elle met rapidement en place un principe troublant de dédoublement et d’enchevêtrement des figures qui affecte, en les rendant indissociables, la perception de l’ensemble des données de l’espace-temps.

Dans cet univers trouble sujet à différentes mutations, le mouvement initié au sein des plans rassemblés engage des effets prononcés d’étirement. En redéployant dans l’espace l’ensemble de ses éléments figuratifs, ceux-ci contribuent à fragiliser la texture de l’image et y ouvrir une brèche qui libère aussitôt un flot menaçant. Dans une logique d’infiltration comparable à celle qui gouverne le montage de Little Foxes, l’eau se déverse généreusement dans le cadre. Elle s’immisce vague après vague pour tout envahir.

En référence à la grille de lecture que propose le titre de la série et les thèmes qui y sont abordés, on pourra envisager cet élément liquide comme la matérialisation des émotions de Lucy Muir, représentée au même moment dans le montage endormie. Après avoir été affectée à son contact et avoir été littéralement submergée, la jeune femme parvient néanmoins à en contrôler le flux en se levant de son fauteuil et en refermant derrière elle la béance ouverte (en repoussant les deux battants d’une porte-fenêtre d’où il semblait s’échapper) ; elle confirme par là-même le contrôle qu’elle est susceptible d’exercer sur ce déferlement dans la propension qui est la sienne à se ressaisir. Dès son intervention, le calme revient à nouveau au sein de la chambre où elle s’était assoupie et l’horizon se dégage dans un effet qui entraîne un décloisonnement de l’espace-temps.

Les composantes biographiques qui irriguent nombre des installations de la série invitent à prendre en compte les destins de Gene Tierney et de Dora Maar. Comment ne pas entrevoir en effet dans ce déchaînement liquide, cette occupation du champ par Les Larmes de Lora une allusion aux drames et aux revers subis par les deux femmes au milieu de leur existence respectives, entraînant chez elles les fragilités que l’on connaît, avant qu’elle ne parviennent toutes deux à reprendre en mains leur destin ? En les prenant à témoin, Lucy’s dream semble inviter les spectateurs à partager tout autant la morsure dévorante de leurs tourments qu’à éprouver la force spirituelle qui les ramena vers la lumière.

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