On the Brink

2010


Metz, Lavoir du Pontiffroy



Installation vidéo existant sous la forme d’un montage unique ou d’un diptyque rassemblant deux montages présentés sur deux écrans.
Cycle de 16 mn 20.

You are sixteen going on seventeen
Baby, it’s time to think
Better beware, be canny and careful
Baby, you’re on the brink.

Le montage de On the brink se structure autour d’un des morceaux les plus célèbres de la comédie musicale The Sound of music (La Mélodie du bonheur, 1965) de Robert Wise : Sixteen going on Seventeen. Étendu à une durée comprise entre seize et dix-sept minutes conformément au titre de la chanson, il se conclut par un baiser échangé entre Charmian Carr (Liesl) et Daniel Truhitte (Rudolfe) après un très long duo de danse exécuté à un rythme effréné.

Se déplaçant à des vitesses vertigineuses à l’intérieur d’un kiosque aux parois de verre animées par les éclairs d’un orage et l’écoulement continu de rideaux de pluie, les deux personnages sont apparentés aux automates tourbillonnants d’une boîte à musique. Les ruptures régulières de rythme que met en place le montage contribuent à renforcer le côté artificiel de leur duo, déjà servi par des codes esthétiques propres au genre de la comédie musicale aux accents tout caricaturaux.

Répondant structurellement à un tête-à-tête entre les amoureux qui semblait, pas moins de seize minutes plus tôt, déjà en favoriser l’intervention, le baiser met, en tant que point vers lequel convergent les composantes narratives de la scène, l’ensemble du numéro des danseurs en perspective. Annoncé dès le début du montage par le rapprochement des visages des deux personnages, sa concrétisation est, malgré de nombreuses opportunités, à de nombreuses reprises repoussée au point de mettre en place chez le spectateur un système d’attente régulièrement déçu dans le déroulement de la vidéo.

Aux mouvements de forte accélération qui caractérisent l’ensemble de la partie dansée, le montage oppose ainsi la difficulté d’exécution du rituel amoureux, soulignée, dans le préambule, par l’usage du ralenti et la longueur du temps écoulé pour le faire aboutir. Il tire toute sa tendre ironie du contraste qu’il met en place entre rapidité et lenteur ainsi que du déploiement des nombreuses variantes autour de la chorégraphie originale qui servent de prétextes à le retarder.

En proposant une réflexion sur des errements sentimentaux propres à la période de l’adolescence, On the brink met ainsi en place une double logique de distension (extension artificielle de l’extrait filmique) et de contraction du Temps (accélération des plans) – logiques que reprend et décline les figures exécutées par les danseurs, initiant alternativement entre les corps des effets d’attraction et de distanciation. Tout comme Liesl s’amuse, au début du montage, à tortiller une mèche de cheveux de Rudolfe en la saisissant entre son pouce et son index ou à remodeler son visage en le saisissant entre ses mains, l’œuvre s’ingénie à éprouver continuellement l’élasticité de la texture temporelle. A la fois complice et exclu de l’échange amoureux, le spectateur est entraîné malgré lui dans ce double mouvement.

La réactualisation du contexte historique du film de Robert Wise trouble toutefois l’approche du manège. Conformément aux penchants politiques du jeune Rudolfe qui incorpore dans The Sound of music les Jeunesses hitlériennes et préfèrera sacrifier Liesl à ses convictions en la dénonçant au cours de sa fuite aux autorités de son pays, la vidéo fait discrètement écho aux nouvelles formes de séductions exercées par les extrémismes idéologiques en Europe et les risques qu’ils font peser sur la démocratie. Étude sur le désir mais également sur la perte de raison, On the brink engage ainsi plus gravement les spectateurs dans un mécanisme propre à l’égarement des personnages, une dynamique virevoltante prompte à les emporter dans son souffle, comme de simples marionnettes.

L’outrance, toute disneyesque, des codes romantiques européens revus par la toute puissance hollywoodienne et le caractère sirupeux de la musique de Richard Rodgers, devenant presque irritante à force de répétition, ne manquent d’ailleurs pas de pointer le caractère artificiel et ambivalent de la scène présentée dans l’installation. Forte de ses déformations et de ses exagérations, l’œuvre entraîne le Jungstorm vers une réactualisation de La jeune fille et la Mort dont plusieurs plans de la vidéo, de Niklaus Manuel Deutsch à Hans Baldung Grien, d’Edvard Munch à Egon Schiele, proposent des références à certaines des représentations picturales.

Déplaçant spatialement les principes de la rencontre impossible et du basculement, la présentation de l’installation en diptyque met en place un jeu d’alternance de projection des images du montage entre deux écrans. Chacun d’entre eux apparaît plus étroitement associé à l’un des deux danseurs. Légèrement décalés l’un par rapport à l’autre, ils contribuent à matérialiser un autre fossé à franchir, une nouvelle frontière.

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